Groupes

Éléments clés

Le personnel soignant travaillant en prison a les mêmes obligations professionnelles et éthiques vis-à-vis des patient·e·s que le personnel travaillant dans les centres de soins communautaires. Toutefois, les particularités de l’environnement carcéral, dont l’objectif est la sécurité, la sûreté et le maintien de l’ordre, peuvent souvent entrer en conflit avec la mission de soin du personnel soignant. Il en résulte une double loyauté au titre de laquelle les obligations éthiques et professionnelles vis-à-vis des patient·e·s peuvent être compromises par l’assujettissement aux autorités pénitentiaires.

Le personnel soignant appelé à travailler dans les lieux de détention doit être sélectionné avec soin et doit être formé aux spécificités de la santé en prison, notamment à la notion de santé comme droit humain, et doit être conscientisé à la notion de double loyauté. Il doit être soutenu par le ministère de la Santé et les corps médicaux professionnels. Son indépendance et éthique professionnelles sont essentielles pour gagner la confiance des détenu·e·s  et pour que le personnel soignant puisse apporter des soins sans discrimination.

Analyse

Les effectifs

Un effectif suffisant de personnel soignant adéquatement formé doit être alloué à chaque prison. Il doit être sélectionné sur la base de ses aptitudes professionnelles et de son intégrité personnelle. La rémunération et les avantages doivent être les mêmes que ceux offerts au personnel soignant oeuvrant à l’extérieur afin d’attirer le personnel adéquat. En général, le personnel soignant dans une prison inclut au moins des médecins généralistes et des infirmiers/-ères. Le personnel soignant doit être disponible à toute heure du jour et de la nuit afin de répondre aux urgences et autres problèmes médicaux. D’autres personnels, comme les psychiatres et psychologues, les dentistes, les physiothérapeutes, etc. devraient soit être basé·e·s  dans la prison, ou s’y rendre régulièrement, en fonction de la taille de la population carcérale.

Le nombre réel et les spécialisations du personnel soignant dépendent généralement de la taille de la population carcérale et du profil général des détenu·e·s  dans le lieu de détention en question. Par exemple, s’il y a une forte prévalence de détenu·e·s  toxicodépendants ou alcooliques, la présence d’un·e spécialiste de la réhabilitation et des traitements de substitution est recommandée. Un nombre suffisant de personnels soignants féminins doit travailler dans les prisons, tout particulièrement lorsque des femmes y sont détenues.

Les détenu·e·s  doivent également avoir accès aux examens et soins médicaux qui ne sont pas dispensés en prison. Le/la détenu·e est alors généralement envoyé·e dans une clinique ou un hôpital local, même s’il arrive que des spécialistes de l’extérieur se rendent régulièrement dans les lieux de détention. Cela permet à l’administration pénitentiaire de réduire la demande de transport sécurisé vers les centres de soins extérieurs.

Les détenu·e·s  ne devraient pas être employé·e·s  par le service de soins de la prison, même s’ils/elles sont au bénéfice d’une formation médicale. Cela risquerait de contrevenir au secret médical et de nuire à l’indépendance du personnel soignant.

La formation du personnel et sa supervision

Après avoir été recruté pour travailler dans le service médical d’une prison, le personnel devrait recevoir une formation initiale sur les conditions de travail en milieu carcéral en général, et sur la santé et les droits humains, notamment sur les dispositions contenues dans les législations nationales, ainsi que sur les normes internationales et régionales.

Une formation détaillée sur les soins dispensés dans les lieux de détention doit être offerte et régulièrement mise à jour, notamment sur les maladies infectieuses, la santé mentale, la prévention de l’automutilation et du suicide, la réduction des risques liés à la consommation de drogues, la prévention et les soins relatifs au VIH/SIDA, aux hépatites B et C et aux autres infections sanguines, et la prévention et le traitement de la tuberculose, notamment la tuberculose multi-résistante. Les dilemmes éthiques et professionnels du personnel soignant en prison sont un autre élément important à aborder en formation.

Un accent particulier devrait notamment être mis sur les besoins en soins des femmes détenues, des enfants, des personnes handicapées ou nécessitant des soins mentaux, et des détenu·e·s  LGBTI. En outre, les prisons accueillent toujours plus de détenu·e·s  âgé·e·s  qui exigent une attention spécifique, voire même l’adaptation du lieu de détention. Le personnel soignant doit donc également être familier avec les soins de santé gériatriques.

Des formations approfondies doivent être menées, notamment pour les médecins, portant sur l’examen et la documentation des cas de torture et de mauvais traitements, conformément au « Manuel des Nations Unies pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (le « Protocole d’Istanbul »). Des mécanismes doivent être en place afin de pouvoir faire état de ces cas à des organes indépendants, et de garantir la protection des victimes contre toutes représailles et intimidation.

C’est un organe indépendant des prisons qui devrait être chargé de contrôler et de superviser le niveau de soins fourni ainsi que les normes éthiques et professionnelles du personnel soignant. Idéalement, si le service médical de la prison est intégré au service national de la santé, c’est le ministère de la Santé qui joue ce rôle de contrôle et de supervision. Le fait de travailler en prison peut entrainer un certain isolement professionnel, c’est pourquoi le ministère de la Santé devrait également veiller à ce que le personnel soignant suive des formations continues et ait des échanges professionnels avec leurs collègues travaillant dans la communauté.

Les agent·e·s de détention devraient être formé·e·s  aux premiers secours, puisque ce sont souvent les premiers sur place en cas d’urgence dans une cellule ou dans la prison. Le personnel soignant des prisons ou des organisations externes, comme les sociétés de la Croix-Rouge ou du Croissant rouge, devraient leur fournir des cours de rappel réguliers. Le personnel pénitentiaire devrait également être formé à la promotion basique de la santé et à la prévention des maladies afin de renforcer les messages donnés par le personnel soignant.

La double loyauté du personnel soignant

Le personnel soignant en prison est souvent engagé par le ministère de tutelle des prisons (généralement le ministère de la Justice, ou parfois de l’Intérieur) et peut donc se sentir lié par son autorité. Toutefois, le principal devoir du personnel soignant est celui de promotion et de protection de la santé des détenu·e·s. Les soins de santé doivent être fournis en toute indépendance professionnelle, sans discrimination, et sur la base de l’autonomie et du consentement donné en connaissance de cause du/de la patient·e/détenu·e. Une attention particulière doit être portée aux obligations éthiques envers les patients-détenus, tout en étant conscient de cette double loyauté.

De tels dilemmes pourraient notamment surgir en cas de demande d’émission d’un certificat médical d’aptitude à être sanctionné, qu’il s’agisse de suivi des détenu·e·s  en isolement, ou de cas de grève de la faim et d’alimentation forcée. Le personnel soignant ne doit jamais être impliqué dans l’évaluation de l’aptitude à être soumis à des sanctions disciplinaires, à leur approbation ou leur supervision. De la même manière, le personnel médical des prisons ne devrait pas être impliqué dans les fouilles à corps (fouilles des cavités corporelles) des détenu·e·s , qui est une fonction sécuritaire et non pas sanitaire. Lorsque les fouilles intimes sont autorisées par la loi, elles devraient être conduites par un personnel soignant différent de celui de la prison, afin de ne pas saper la confiance entre les détenu·e·s  et le personnel médical habituel.

Le personnel soignant, notamment les médecins, ont une obligation spécifique de documenter et de faire état des cas de mauvais traitements qui se seraient produits avant ou après l’arrivée du/de la détenu·e dans le lieu de détention.

Une mesure importante, permettant de prévenir de tels dilemmes éthiques et d’en protéger le personnel soignant, consiste à intégrer le service médical en prison au service national de santé. Cela permettra de garantir l’indépendance et l’éthique professionnelles du personnel soignant, et d’offrir des voies de recours auprès d’un organe indépendant en cas de conflit.

Normes juridiques

Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)

Règle 25

1. Chaque prison doit disposer d’un service médical chargé d’évaluer, de promouvoir, de protéger et d’améliorer la santé physique et mentale des détenus, une attention particulière étant accordée à ceux qui ont des besoins spéciaux ou des problèmes de santé qui constituent un obstacle à leur réinsertion.

2. Ce service doit être doté d’un personnel interdisciplinaire comprenant un nombre suffisant de personnes qualifiées agissant en pleine indépendance clinique, et disposer de compétences suffisantes en psychologie et en psychiatrie. Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins d’un dentiste ayant les qualifications requises.

Règle 27.2

Les décisions cliniques ne peuvent être prises que par les professionnels de la santé responsables et ne peuvent être rejetées ou ignorées par le personnel pénitentiaire non médical.

Règle 32

1. La relation entre le médecin ou les autres professionnels de la santé et les détenus est soumise aux mêmes normes déontologiques et professionnelles que celles qui s’appliquent aux patients au sein de la société, notamment :

a) Le devoir de protéger la santé physique et mentale des détenus, et de ne prévenir et traiter les maladies que sur des bases cliniques;
b) Le respect de l’autonomie des patients dans les décisions concernant leur santé et du consentement éclairé dans la relation médecin-patient;;
c) La confidentialité des informations d’ordre médical, sauf en cas de menace réelle et imminente pour le patient ou pour autrui;
d) L’interdiction absolue de se livrer, activement ou passivement, à des actes assimilables à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris les expériences médicales ou scientifiques de nature à nuire à la santé du détenu, telles que le prélèvement de cellules, de tissus cellulaires ou d’organes.

2. Sans préjudice de l’alinéa d du paragraphe 1 de la présente règle, les détenus peuvent être autorisés, s’ils donnent leur consentement libre et éclairé, conformément à la loi applicable, à participer à des essais cliniques et à d’autres travaux de recherche médicale organisés dans la société s’il en est attendu un bénéfice direct notable pour leur santé, et à donner des cellules, tissus cellulaires ou organes à leur famille.

Règle 33

Le médecin doit faire rapport au directeur de la prison chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu a été ou sera affectée par le maintien en détention ou par une des conditions de détention.

Règle 34

Si les professionnels de la santé constatent des signes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants lors des examens pratiqués sur les détenus au moment de l’admission ou lorsque, par la suite, ils dispensent des soins médicaux aux détenus, ils doivent le consigner et le signaler aux autorités médicales, administratives ou judiciaires compétentes. Des précautions procédurales adéquates doivent être prises pour ne pas exposer le détenu ou les personnes associées à des préjudices prévisibles.

Règle 35

1. Le médecin ou l’organisme de santé publique compétent doit faire des inspections régulières et conseiller le directeur de la prison en ce qui concerne :

a) La quantité, la qualité, la préparation et la distribution des aliments;
b) L’hygiène et la propreté de l’établissement et des détenus;
c) Les installations sanitaires, la température, l’éclairage et la ventilation de l’établissement;
d) La qualité et la propreté des vêtements et de la literie des détenus;
e) L’observation des règles concernant l’éducation physique et sportive lorsque celle ci est organisée par un personnel non spécialisé.

Règle 46

1. Le personnel de santé ne doit jouer aucun rôle dans l’imposition de sanctions disciplinaires ou autres mesures de restriction. Il doit cependant prêter une attention particulière à la santé des détenus soumis à toute forme de séparation non volontaire, notamment en effectuant des visites quotidiennes et en fournissant promptement une assistance médicale et un traitement si le détenu ou le personnel pénitentiaire le demande.

2. Le personnel de santé doit signaler sans tarder au directeur de la prison tout effet néfaste d’une sanction disciplinaire ou autre mesure de restriction sur la santé physique ou mentale du détenu contre lequel elle est prise et informer le directeur s’il estime nécessaire de suspendre ou d’assouplir ladite sanction ou mesure pour des raisons médicales physiques ou mentales.

3. Le personnel de santé doit être habilité à envisager et à recommander des modifications à apporter à la mesure de séparation non volontaire prise contre un détenu pour s’assurer qu’elle n’aggrave pas l’état de santé ou la déficience mentale ou physique de ce dernier.

Règle 47

1. L’usage de chaînes, fers et autres instruments intrinsèquement dégradants ou douloureux est interdit.

2. D’autres moyens de contrainte peuvent être utilisés mais uniquement si la loi l’autorise et dans les circonstances suivantes :

a) Par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu’ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative;b) Sur ordre du directeur de la prison, si les autres moyens de maîtriser un détenu ont échoué, afin de l’empêcher de se blesser, de blesser autrui ou de causer des dégâts; dans ce cas, le directeur doit immédiatement prévenir le médecin ou un autre professionnel de la santé ayant les qualifications requises et faire rapport à l’autorité administrative supérieure.

Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Principe 4

Il y a violation de l'éthique médicale si des membres du personnel de santé en particulier des médecins:

a) Font usage de leurs connaissances et de leurs compétences pour aider à soumettre des prisonniers ou détenus à un interrogatoire qui risque d'avoir des effets néfastes sur la santé physique ou mentale ou sur l'état physique ou mental desdits prisonniers ou détenus et qui n'est pas conforme aux instruments internationaux pertinents. 


b) Certifient, ou contribuent à ce qu'il soit certifié, que des prisonniers ou des détenus sont aptes à subir une forme quelconque de traitement ou de châtiment qui peut avoir des effets néfastes sur leur santé physique ou mentale et qui n'est pas conforme aux instruments internationaux pertinents, ou participent, de quelque manière que ce soit, à un tel traitement ou châtiment non conforme aux instruments internationaux pertinents.

Règles pénitentiaires européennes

Règle 41.1

Chaque prison doit disposer des services d’au moins un médecin généraliste.

Règle 41.2

Des dispositions doivent être prises pour s’assurer à tout moment qu’un médecin diplômé interviendra sans délai en cas d’urgence.

Règle 41.3

Les prisons ne disposant pas d’un médecin exerçant à plein temps doivent être régulièrement visitées par un médecin exerçant à temps partiel.

Règle 41.4

Chaque prison doit disposer d’un personnel ayant suivi une formation médicale appropriée.

Règle 41.5

Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins de dentistes et d’ophtalmologues diplômés.

Recommandation n° R (98) 7 du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire

Paragraphe 34

Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient avoir une bonne compétence professionnelle en médecine générale et en psychiatrie. Leur formation devrait comporter l’acquisition de connaissances théoriques initiales, une compréhension du cadre pénitentiaire et de ses effets sur l’exercice de la médecin en prison, une évaluation des compétences acquises et un stage pratique, effectué sous la direction d’un médecin confirmé. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient bénéficier également d’une formation continue régulière.

Paragraphe 35

Une formation appropriée devrait également être dispensée aux autres personnels de santé et devrait inclure des connaissances du fonctionnement des prisons et des réglementations pénitentiaires pertinentes

Extrait du 3e rapport général du CPT [CPT/Inf (93) 12]

Paragraphe 71

Le personnel soignant de toute prison est un personnel potentiellement à risque. Son devoir de traiter des patients (les détenus malades) peut souvent entrer en conflit avec des considérations de gestion et de sécurité pénitentiaires. Cette situation peut faire apparaître des dilemmes éthiques et des choix difficiles. Afin de garantir leur indépendance dans les soins de santé, le CPT considère qu'il est important que le statut de ce personnel soit aligné aussi étroitement que possible sur celui des services de santé dans la communauté en général.

Paragraphe 72

Quel que soit le statut en vertu duquel le médecin pénitentiaire exerce son activité, ses décisions cliniques ne doivent dépendre que de critères professionnels […].

Paragraphe 73

Un médecin pénitentiaire est un médecin-traitant. Par conséquent, afin de préserver la relation médecin/patient, il ne doit pas être appelé à certifier qu'un détenu est apte à subir une punition. Il ne doit pas non plus procéder à des fouilles ou à des examens corporels demandés par une autorité, sauf urgence lorsqu'un autre médecin ne peut être requis.

Paragraphe 75

Médecins et infirmiers pénitentiaires devraient bénéficier de connaissances spéciales leur permettant d'aborder les formes particulières de la pathologie carcérale et d'adapter les prestations de soins aux conditions qu'impose la détention.

Questions pour le monitoring

Combien de personnels sont basés dans la prison (médecin(s), infirmier(s)/-ère(s), psychiatre(s), psychologue(s), dentiste(s)) ?

Quels jours les personnes soignants sont-ils présents ? (Combien de jour par semaine ? À quelle fréquence ?)

Quelles sont les qualifications et les compétences du personnel soignant ?

Le personnel médical dans les prisons est-il payé de manière équivalente à un personnel soignant classique ? 

Les spécialistes hospitaliers se rendent-ils à la prison ?

Les gynécologues rendent-ils/-elles visites aux femmes détenues ? Si oui, à quelle fréquence ?

Les pédiatres rendent-ils/-elles visites aux enfants ? Si oui, à quelle fréquence ?

Comment le personnel soignant est-il recruté ?

Quelle formation initiale et continue le personnel soignant reçoit-il ?

Existe-t-il des échanges réguliers avec les services de soins communautaires à des fins de soutien et de formation ?

Existe-t-il des mécanismes pour documenter et faire état des cas de torture ou de mauvais traitements ?

Le personnel soignant de la prison relève-t-il du ministère de tutelle des prisons ou du ministère de la Santé ?

Le personnel soignant de la prison est-il spécifiquement formé aux dilemmes éthiques auxquels il peut être confronté en prison?

Le personnel soignant a-t-il un rôle à jouer dans les mesures de sécurité ou disciplinaires de la prison ?

Lectures supplémentaires