Accès à un·e juge

Éléments clés

L’accès rapide à un·e juge pour toutes les personnes détenues est une mesure de protection importante contre la détention arbitraire et pour assurer le respect des droits des détenu·e·s. Le droit de toute personne détenue d’avoir accès à un·e juge inclut 1) le droit des personnes soupçonnées d’une infraction pénale d’être traduites dans le plus court délai devant un·e juge et 2) le droit de toute personne détenue de contester la légalité de sa détention (habeas corpus). Dans l’un et l’autre cas, le ou la juge doit entendre les détenu·e·s en personne afin de pouvoir réagir à toute allégation ou indice éventuel de mauvais traitements. Le pouvoir judiciaire peut également jouer un rôle de contrôle plus large lorsque ses décisions portent sur les conditions de détention ou les traitements dans les prisons.

Imprimer section

Analyse

L’accès des détenu·e·s à un·e juge : deux droits connexes

Aux termes des normes internationales, nul ne doit être maintenu en détention sans avoir eu l’opportunité d’être entendu sans délai par une autorité judiciaire. Le droit d’accès des personnes détenues à un·e juge recouvre deux droits distincts mais connexes : le premier concerne les personnes soupçonnées d’une infraction pénale et le second s’applique à l’ensemble des détenu·e·s. Comme pour les autres mesures de protection, les détenu·e·s doivent être informé·e·s de ces droits dans une langue qu’ils/elles comprennent au moment de leur admission en prison.

Motifs autorisant la détention de personnes soupçonnées d’une infraction pénale

Les normes internationales précisent clairement que les personnes soupçonnées d’une infraction pénale ne doivent être placées en détention que dans un nombre limité de circonstances et en dernier recours, conformément au principe de la présomption d’innocence. La décision de placer une personne en détention relève d’un·e· juge qui doit déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que celle-ci a commis l’infraction reprochée et s’il y a de bonnes raisons d’estimer que l’individu concerné est susceptible de prendre la fuite, d’interférer avec le cours de la justice (par exemple, en altérant des éléments de preuve) ou de commettre une infraction grave. Le ou la juge ne doit ordonner ce placement de détention qu’en dernier ressort, si ces conditions sont remplies et si la possibilité de privilégier des mesures alternatives non privatives de liberté a été examinée.

En réalité, dans de nombreux pays, le cadre juridique et / ou la pratique ne sont pas respectueux des normes internationales : les juges ont tendance à confirmer le placement en détention, ce qui entraîne un recours excessif à la détention provisoire. Cela contribue à la surpopulation carcérale et a des répercussions négatives sur l’État de droit, le respect des droits en détention, ainsi que sur la santé publique.

Personnes soupçonnées d’une infraction pénale : le droit d’être traduit·e·s dans le plus court délai devant un·e juge

Les normes internationales relatives à la détention prévoient que les personnes soupçonnées d’une infraction pénale doivent être « traduites dans le plus court délai devant un·e juge », afin que celui-ci/celle-ci se prononce sur le caractère nécessaire du placement en détention. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a précisé que tout·e détenu·e devait être présenté·e devant un·e juge dans un délai maximum de quelques jours (Observation générale 8) et il est généralement reconnu qu’un délai de plus de 72 heures est excessif. Ce délai est habituellement fixé par le code de procédure pénale du pays concerné. Dans le contexte carcéral, ce droit concerne tout particulièrement les personnes en détention provisoire qui ont été placées en détention suite à leur arrestation.

Enfants

Tous les enfants privés de liberté doivent être traduits devant un·e juge au plus tard 24 heures après leur arrestation. 

L’accès à un·e juge comme mesure de protection essentielle contre les mauvais traitements

Les personnes soupçonnées d’une infraction pénale sont dans une situation particulièrement vulnérable au moment de leur arrestation et placement en détention, et leur droit d’être traduites dans le plus court délai devant un·e juge constitue, par conséquent, une mesure de protection importante contre la torture et autres mauvais traitements. En outre, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a précisé qu’avant tout placement en détention provisoire, les personnes détenues par la police doivent, dans tous les cas, être présentées physiquement devant un·e juge compétent·e qui doit se prononcer sur le caractère nécessaire du placement en détention. Cette présentation devant un·e juge constitue, en effet, une opportunité importante de déceler les éventuels mauvais traitements infligés en détention par la police (normes du CPT).

Pour que cette protection soit efficace, il est important que les détenu·e·s soient présenté·e·s devant un·e juge en personne et aient la possibilité de s’adresser directement au juge. Cela permet à la personne détenue de signaler tout mauvais traitement ou de formuler une plainte au sujet de sa détention. Cela donne également la possibilité au juge de constater l’état et le comportement des détenu·e·s afin de déceler toute indication éventuelle de mauvais traitements, lorsqu’aucune plainte n’a été déposée formellement. Le ou la juge doit enregistrer toutes les allégations ou indications de mauvais traitements par écrit, ordonner immédiatement un examen médico-légal le cas échéant et veiller à ce que ces allégations fassent l’objet d’une enquête par l’autorité compétente.

Contester la légalité de la détention

Le droit international relatif aux droits humains prévoit que toutes les personnes privées de liberté doivent avoir le droit de contester la légalité de leur détention devant un tribunal (un droit aussi appelé habeas corpus). Ce droit concerne toutes les personnes détenues (qu’elles fassent l’objet de poursuites pénales ou administratives, par exemple en cas d’infractions à l’ordre public ou en raison de leur statut migratoire). Dans certains pays, le droit d’habeas corpus s’applique à l’examen des allégations de traitement illégal des personnes qui ont été détenues légalement. En outre, dans certains pays (principalement hispanophones), le recours en amparo permet de fonder un recours pour la protection des droits constitutionnels des détenu·e·s, au-delà de la contestation de la légalité de la détention.

Le ou la juge doit examiner sans délai les recours contre la légalité de la détention. Là aussi, il n’existe pas de norme qui définisse le terme « sans délai » ; cette question doit être évaluée au cas par cas. Mais on entend, par là « aussi rapidement que possible » (i.e. en termes de nombre d’heures ou de jours plutôt que de semaines). Là encore, le tribunal doit examiner les détenu·e·s en personne afin d’être en mesure de réagir à toute allégation ou indication éventuelle de mauvais traitements en détention. Ce droit n’est susceptible d’aucune dérogation et ne peut donc pas être suspendu pendant les situations d’urgence telles que les conflits armés ou les « attaques terroristes ».

Contrôle judiciaire efficace de la détention

Outre les mesures de protection garanties par le droit des détenu·e·s d’avoir accès à un·e juge (examiné plus haut), le pouvoir judiciaire peut exercer un contrôle sur les pratiques de détention par le biais de décisions concernant :

- La contestation de la légalité du traitement ou des conditions de détention (aux termes du droit administratif ou constitutionnel) : Le Sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture (SPT) a souligné qu’il est essentiel qu’un contrôle judiciaire de la détention soit exercé par des juges autres que celles et ceux chargé·e·s de la procédure pénale afin de veiller au respect des garanties d’une procédure équitable et d’assurer aux détenu·e·s le droit d’invoquer les normes qui les protègent (SPT 2013). Dans certains pays, certain·e·s juges sont spécifiquement mandaté·e·s pour examiner les plaintes concernant tout aspect du régime de la détention déposées par des personnes qui purgent une peine (connus sous le nom de « juges d’exécution des peines » dans les pays francophones). Pour cela, les détenu·e·s sont parfois tenu·e·s d’épuiser au préalable toutes les voies de recours administratives. Le contrôle judiciaire de la détention peut porter sur les questions suivantes :

  • Le respect du droit à une procédure équitable qui est une mesure de protection contre la torture ou d’autres mauvais traitements pour les personnes placées en détention provisoire (par exemple l’accès à un avocat).
  • Les demandes d’indemnisation liées à la détention, par exemple, pour détention illégale ou pour mauvais traitements en détention.
  • Les inculpations pénales relatives au comportement de membres du personnel pénitentiaire ou de détenu·e·s.
  • En outre, dans certains pays, les juges ont le mandat de visiter les lieux de détention (voir mécanismes d’inspection).

Pour que ces différents types de contrôle judiciaire de la détention soient efficaces, il faut que le pouvoir judiciaire soit indépendant et prenne sans délai des mesures pour faire respecter les droits des détenu·e·s. Dans certains contextes, le pouvoir judiciaire n’assure pas pleinement ce rôle notamment lorsque :

  • Le système judiciaire ne dispose pas de l’indépendance professionnelle nécessaire par rapport aux autorités chargées de la détention ; les juges peuvent alors faire preuve de partialité, en prenant le « parti des autorités » au détriment des déclarations et de la situation des détenu·e·s.
  • Les juges ne sont pas conscient·e·s de la gravité des pratiques de recours à la torture et d’autres mauvais traitements.
  • Le pouvoir judiciaire ne dispose pas de ressources suffisantes et est confronté à une surcharge de dossiers à traiter, ce qui nuit à sa capacité de traiter les cas de manière approfondie et en temps opportun.
Enfants
L’accès à un·e juge pour les personnes en situation de vulnérabilité

Il est particulièrement important d’assurer un contrôle judiciaire de la détention des enfants, compte tenu de leur vulnérabilité face aux violences et aux abus. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a précisé qu’aucun·e enfant arrêté·e ne doit être détenu·e pendant plus de 24 heures sans qu’une autorité judiciaire ne se prononce sur la légalité de son maintien en détention .De plus, le Comité recommande que la légalité de cette détention fasse l’objet d’un « réexamen périodique, dans l’idéal toutes les deux semaines » (Observation générale 10).  Le placement d’enfants en détention provisoire  doit être strictement limité en tant que mesure de dernier ressort. Des tribunaux pour mineur·e·s spécialisés doivent être mis en place et dotés de juges formé·e·s pour comprendre les enjeux de la psychologie et du développement de l’enfant. Les enfants doivent avoir la possibilité de s’adresser directement au tribunal et les procédures doivent être adaptées pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et éviter tout préjudice éventuel.

Personnes étrangères
Minorités et peuples autochtones

Les personnes détenues doivent être informées dans une langue qu’elles comprennent de leur droit d’accès à un·e juge. Pour pouvoir exercer ce droit, les détenu·e s qui ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée par le tribunal doivent bénéficier gratuitement des services d’un·e interprète. Les interprètes doivent être compétent·e·s et devraient disposer d’une formation de base en matière juridique.

Personnes handicapées

Les personnes souffrant de handicaps mentaux ou de troubles de l’apprentissage peuvent être confrontées à des obstacles pour se présenter et se défendre devant un tribunal, y compris pour informer le ou la juge de questions relatives à leur traitement et conditions de détention. Il est donc particulièrement important que des mesures soient prises pour faciliter leur accès rapide à un·e juge et à une assistance juridique.

Imprimer sectionImprimer section

Questions pour le monitoring

Les personnes détenues sont-elles informées dans une langue qu’elles comprennent de leur droit d’accès à un·e juge dans le plus court délai ?

Combien de temps après leur privation de liberté les personnes soupçonnées d’une infraction pénale sont-elles présentées devant un·e juge ?

Quels critères les juges utilisent-ils/elles pour décider si une personne soupçonnée d’une infraction pénale doit être maintenue en détention provisoire ? Des informations indiquent-elles un recours excessif à la détention provisoire ?

Toutes les personnes détenues ont-elles le droit de contester la légalité de leur détention (par exemple, en formant un recours en habeas corpus ou en amparo)?

Lorsqu’elles exercent leur droit d’accès à un·e juge, les personnes détenues comparaissent-elles en personne devant le tribunal ? Ont-elles la possibilité d’informer le ou la  juge de tous les aspects de leur traitement ou de leurs conditions de détention ?

Quelles actions les juges prennent-ils/elles en cas d’allégations ou d’indications de mauvais traitements en détention (consignent-ils/elles ces cas par écrit, ordonnent-ils/elles un examen médico-légal et l’ouverture d’une enquête par les autorités compétentes) ?

Quel autre contrôle le pouvoir judiciaire peut-il exercer sur la détention (par exemple, les personnes détenues peuvent-elles se plaindre devant un·e juge du traitement ou des conditions de détention) ? Ces plaintes débouchent-elles sur une action concrète ?

Personnes étrangères
Minorités et peuples autochtones

Les détenu·e·s qui ne comprennent pas - ou ne parlent pas - la langue employée par le tribunal bénéficient-ils/elles gratuitement des services d’un·e interprète compétent·e ?

Enfants

Les enfants arrêtés sont-ils/elles traduit·e·s devant un·e juge dans les 24 heures pour que celui-ci/celle-ci se prononce sur l’opportunité de leur maintien en détention ? Leur détention est-elle réexaminée régulièrement (toutes les deux semaines) ?

Enfants

Les enfants sont-ils/elles entendu·e·s par des tribunaux spécialisés appliquant des procédures adaptées pour éviter tout préjudice et assurer l’intérêt supérieur de l’enfant ? Les enfants ont-ils/elles la possibilité de s’adresser directement au tribunal ?

Personnes handicapées

Des mesures sont-elles prises, le cas échéant, pour veiller à ce que les personnes souffrant de handicaps mentaux ou de troubles de l’apprentissage aient accès à un·e juge et bénéficient d’une assistance pour assurer leur propre défense devant un tribunal ?

Femmes
Personnes étrangères
Personnes handicapées
Minorités et peuples autochtones
Enfants
Personnes LGBTI

Des informations font-elles état de cas de discrimination (pour quelque motif que ce soit) à l’encontre de détenu·e·s dans le respect de leur droit à être traduit·e·s dans le plus court délai  devant un·e juge?

Imprimer section

Lectures supplémentaires

Document