Le récent dialogue public tenu à Chêne-Bougeries sur la santé mentale et la privation de liberté a fait émerger des réflexions profondes de la part de professionnels de la santé, d’organes de surveillance, de la société civile et des proches concernés. Tous et toutes ont souligné que la privation de liberté ne devrait pas être la réponse par défaut pour les personnes présentant des troubles de santé mentale et que, lorsqu’elle est inévitable, des garanties efficaces, des soins adéquats et un soutien multidisciplinaire doivent être assurés.

Reconnaître l’impact profond de la privation de liberté sur la santé mentale

La discussion a mis en lumière un dilemme central : les personnes présentant des troubles de santé mentale se retrouvent-elles davantage en prison parce que les difficultés qu’elles rencontrent rendent la vie en société plus difficile ? Ou bien est-ce l’environnement carcéral — dur, isolant, éloigné des proches et des repères familiers — qui fait souffrir toute personne qui s’y trouve placée ? Et dans quelle mesure cet environnement contribue-t-il à l’aggravation de la santé mentale ?

Les constats tirés des visites menées par la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) de Suisse dans différents lieux de détention montrent que les personnes privées de liberté présentent des taux élevés de troubles de santé mentale.

« Comme les établissements de détention préventive sont souvent surpeuplés, on peut constater que cela va augmenter les risques de violence et de maltraitance psychique pour les personnes détenues. Ce qui fait qu'on aboutit à une prévalence des troubles psychiatriques assez élevée, qui peut aller jusqu'à 80% de troubles psychiatriques si on reporte tous les diagnostics », a déclaré Mme Corinne Devaud Cornaz, vice-présidente de la CNPT. L’accès à des soins psychiatriques appropriés est souvent limité, et les pénuries de personnel — notamment de psychiatres, psychologues et infirmier·ère·s psychiatriques — posent des défis supplémentaires.

« L’environnement carcéral, c’est du métal, du bruit, la violence. C’est la manque de confiance, la rupture, l’inconnu, surtout du parcours carcéral, car on ne sait pas combien de temps on va rester ni qui sont les personnes la dedans. C’est aussi la rupture avec le travail, sans parler de tout ce qui est la stigmatisation qui touche les enfants, la famille, etc. Et tout cela est aggravé par la surpopulation : si la surpopulation se rajoute à ça, il y a moins de place, et encore plus de violence. Les femmes incarcérées présentent particulièrement des problèmes de santé mentale », a souligné le Prof. Hans Wolff, médecin-chef du Service de médecine pénitentiaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Le dépistage médical à l’admission dans le lieu de détention constitue une étape clé pour répondre aux troubles de santé mentale. Dans les 24 heures suivant l’arrivée, puis régulièrement durant l’incarcération, les personnes privées de liberté devraient être évaluées par du personnel de santé formé, y compris pour les troubles mentaux, la consommation de drogues et de substances, le risque d’automutilation et de suicide.

Parmi les autres mesures recommandées par la CNPT figurent la réduction de la surpopulation, l’accès en temps utile à des soins psychiatriques spécialisés, l’arrêt du recours à l’isolement et l’amélioration du recrutement et de la formation du personnel de santé.

Karen Hafsett Nye, coordinatrice de l’Association L’ÉCART, a insisté sur la double stigmatisation subie par les personnes privées de liberté et leurs familles, à la fois en raison de leurs troubles de santé mentale et du fait d’être en prison. Elle a également souligné l’impact que l’enfermement a sur l’estime de soi, la confiance et la réinsertion sociale. Depuis de nombreuses années, l’Association L’ÉCART, anciennement Action Maladie Psychique et Prison du Graap, défend les droits des personnes placées sous mesures thérapeutiques institutionnelles régies par l’article 59 du Code pénal suisse (CP), ainsi que le soutien à leurs proches. En raison d’un manque d’établissements spécialisés, ces mesures sont le plus souvent exécutées dans le système carcéral. Comme l’amélioration de la santé mentale constitue le critère déterminant pour lever la mesure, les patient·e·s sont souvent maintenu·e·s en détention au-delà de la durée de leur peine.

Réaffirmer le rôle clé des personnes avec expérience vécue de la détention et de leurs proches

Les personnes ayant vécu la privation de liberté détiennent des connaissances essentielles sur ce qui aide, ce qui nuit et ce qui doit changer. Le besoin de mieux impliquer et soutenir les proches est également ressorti clairement. « Les familles ressentent un sentiment d’injustice parce que leur proche, qui est malade et a besoin de soins, se retrouve dans une petite cellule, enfermé 23 heures sur 24, pratiquement sans soins », a ajouté Mme Hafsett Nye. Renforcer la communication et instaurer la confiance avec les proches ont été présentés comme des étapes nécessaires pour mettre en place des parcours de soins plus cohérents et soutenants.

Changer de paradigme : respecter l’autonomie et la dignité grâce à la prévention, au soutien multidisciplinaire et à la réinsertion

Le débat a fait émerger plusieurs recommandations et pistes pour répondre aux besoins de santé mentale des personnes privées de liberté. Le Prof. Wolff a souligné l’importance du dépistage médical à l’admission dans le lieu de détention. Dans les 24 heures suivant l’arrivée, puis régulièrement durant l’incarcération, les personnes privées de liberté devraient être évaluées par du personnel de santé formé, notamment pour les troubles de santé mentale, la consommation de substances et le risque d’automutilation et de suicide.

Parmi les autres mesures recommandées par la CNPT figurent la réduction de la surpopulation, l’accès en temps utile à des soins psychiatriques spécialisés, l’arrêt du recours à l’isolement et l’amélioration du recrutement et de la formation du personnel de santé.

Kiny Mottier, infirmière, membre de L’ÉCART et ancienne directrice d’institutions psychiatriques, a souligné l’importance d’aider les personnes souffrant de troubles de santé mentale et privées de liberté à maintenir le contact avec leurs proches et leurs réseaux, « en les reliant à leurs expériences positives du passé et en les accompagnant dans leurs actions quotidiennes ». Elle a ajouté que la réinsertion exige un soutien multidisciplinaire et de longue durée.

Le débat a réaffirmé la nécessité de placer les droits, la dignité et l’autonomie des personnes présentant des troubles de santé mentale — y compris celles privées de liberté — au cœur de tous les soins et interventions.

À propos de la série de conférences Jean-Jacques Gautier

La 6ᵉ conférence Jean-Jacques Gautier s’est tenue le 11 novembre 2026 à Chêne-Bougeries. L’événement a été ouvert par Florence Lambert, membre du Conseil administratif de la commune de Chêne-Bougeries, et Robert Roth, président de l’APT. Il a été modéré par Marie Lequin, cheffe des opérations de l’Association pour la prévention de la torture (APT).

Cette conférence s’inscrit dans une série plus large établie par l’APT en partenariat avec la commune de Chêne-Bougeries pour honorer Jean-Jacques Gautier, fondateur de l’APT et natif de Chêne-Bougeries. Depuis son lancement en 2018, la série de conférences Jean-Jacques Gautier offre un espace d’échange à la communauté locale sur les questions liées à la privation de liberté et la dignité humaine. Chaque conférence explore un thème spécifique — les éditions précédentes ont porté notamment sur les femmes et les jeunes en prison, l’héritage de Gautier, l’impact de la guerre sur la torture ou encore les effets de l’isolement cellulaire — et constitue une plateforme de dialogue entre personnes issues de divers horizons.

 

News Tuesday, November 25, 2025

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