Kerem Altiparmak (Université d’Ankara), Richard Carver et Lisa Handley (Oxford Brookes University)

La Turquie présente un cas particulièrement intéressant d’interaction entre les facteurs politiques et les mesures de prévention de la torture. Une série de facteurs politiques ont joué un rôle décisif dans la diminution de la prévalence de la torture au cours de la période étudiée, à savoir le recul de l’idéologie laïque kémaliste, le flux et le reflux de la lutte politique kurde, et les aspirations de la Turquie à l’adhésion à l’Union européenne.

La prévalence de la torture dans des affaires de nature à la fois politique et non politique était extrêmement élevée dans les années 1980 et 1990. Vers la fin du 20e siècle cependant, la confluence de ces trois facteurs politiques a conduit à une série de réformes de procédure - notamment un renforcement significatif des mesures de protection durant les premiers jours de la détention par la police. La prévalence de la torture a connu une baisse constante dans les années 2000, même si le recours à des mauvais traitements à l’encontre des manifestants a augmenté de nouveau vers la fin de la période étudiée, alors que se développaient des mouvements de dissidence publique informels. Depuis la conclusion de notre recherche, on note une nouvelle recrudescence de la torture dans le cadre d’un durcissement de la politique de répression que les autorités justifient en s’appuyant sur des arguments de sécurité nationale.

La Turquie offre également un excellent exemple de soumission volontaire d’un État au contrôle effectué par un mécanisme régional des droits humains. Depuis le début des années 1990, le Comité européen pour la prévention de la torture a fait des missions dans le pays quasiment chaque année et la Turquie a fait l’objet a fait d’un grand nombre de décisions défavorables de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Bien que l’État turc ait montré une certaine lenteur à se conformer aux arrêts de la CEDH, ceux-ci semblent avoir joué un rôle important dans la reconnaissance par la classe politique du caractère inacceptable de la torture.