Gwénaëlle Dereymaeker et Lukas Muntingh (Université du Cap occidental)

Au sortir de l’apartheid en 1990, l’Afrique du Sud a entrepris un programme de réformes juridiques approfondies qui ont été adoptées après les premières élections démocratiques de 1994. La brutalité du régime de l’apartheid était encore présente dans la mémoire collective. Les dernières années de l’apartheid ont vu l’adoption d’un état d’urgence à l’échelle nationale qui octroyait aux forces de sécurité des pouvoirs illimités et soumis à peu de surveillance. Cela a entraîné un recours généralisé à la torture et un usage excessif de la force. Les personnes arrêtées pour leur opposition au régime étaient fréquemment soumises à la détention au secret, ce qui entraînait souvent des décès. Les personnes détenues pour des infractions de droit commun étaient aussi souvent victimes d’un usage excessif de la force parce que le système de justice pénale était axé sur les aveux et que les tribunaux ne remettaient pas en cause l’origine des éléments de preuve.

L’évolution de la situation après 1994 a donné lieu à de fortes attentes. Beaucoup espéraient que le pays deviendrait un modèle en créant une société fondée sur une constitution libérale et une Déclaration des droits (Bill of Rights). La nouvelle Afrique du Sud devait être l’antithèse de l’État auquel elle succédait. Durant les dix premières années du régime démocratique, des progrès rapides ont permis de démanteler les cadres juridiques et institutionnels créés sous le régime de la minorité blanche. La Constitution a accordé aux citoyens des droits étendus et a fait obligation à l’État de mettre en place un éventail d’institutions pour promouvoir et protéger la démocratie. Cela a permis la création d’organes de contrôle de la police et du système pénitentiaire. La première décennie de démocratie a ainsi été marquée par des progrès structurels importants en matière de lutte contre la torture et autres mauvais traitements.

Toutes les informations disponibles montrent, cependant, qu’une inversion progressive de cette tendance a eu lieu à partir de 2005 environ. Cette situation a entraîné une recrudescence du recours à la force par les organes chargés de l’application de la loi et a abouti à une recrudescence du recours à la torture. Cela est dû à une situation d’impunité de facto alimentée par une série de facteurs et, en particulier : un leadership politique déficient et une réaction allergique croissante de la part de l’État face à toute forme de responsabilité ; la politisation d’institutions clés (telles que la police et l’Autorité nationale chargée des poursuites) ; une stratégie de lutte contre les taux élevés de criminalité violente qui était mal orientée et alimentée par la rhétorique provocatrice des dirigeants politiques ; le manque de formation adéquate et un respect de la discipline déficient au sein des forces de la police et des membres du personnel pénitentiaire ; et l’absence de poursuites à l’encontre des agents chargés de l’application de la loi responsables de violations des droits de l’homme. La prévalence de la torture doit, en outre, être analysée à l’aune de la violence qui sévit au sein de la société sud-africaine. Le cas sud-africain montre clairement les limites des réformes législatives comme mécanisme de réduction de la prévalence de la torture et d’autres mauvais traitements et il met en lumière la pertinence de facteurs sociaux et politiques plus larges.