La torture et les mauvais traitements sont particulièrement fréquents dans le cadre des interrogatoires menés par les forces de l'ordre, les services de renseignement, la police et l'armée afin d'obtenir des aveux, de contrôler les personnes détenues ou, dans le cas du mandat que j'occupe, de lutter contre le terrorisme. Ils peuvent également être “justifiés et favorisés” par le discours et la rhétorique de la lutte contre le terrorisme.

Il est particulièrement important de noter que la "guerre mondiale contre le terrorisme" qui a suivi les attentats du 11 septembre a illustré et permis une augmentation extraordinaire de l'utilisation de ces techniques et de leur justification légale par de multiples gouvernements, y compris des démocraties légales. Dans ce contexte, nous avons vu, dans l'exercice de leurs fonctions, des agents des services de police et de renseignement, des militaires et d'autres personnes se livrer à des actes qui violaient clairement le droit international.

Les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales des Nations unies, y compris le mien, ont constamment fait valoir que ces acteurs sont tenus de respecter et de promouvoir les droits de l'homme et la dignité inhérente à chaque personne, dans tous leurs actes d'interrogatoire des personnes, qu'il s'agisse de suspect-e-s, de témoins ou de victimes. Il est très clair que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains en droit international est à la fois une exigence conventionnelle et une exigence coutumière pour les États. Toutefois, cette interdiction doit s'accompagner de garanties juridiques et procédurales afin de s'assurer que l'interdiction fonctionne effectivement dans la pratique.

Ce que nous avons vu en deux décennies, c'est que la torture et les mauvais traitements, lorsqu'ils sont systématisés, adoptés comme routines et légitimés, compromettent non seulement les droits des individus, de leurs familles et de leurs communautés, mais affaiblissent aussi fondamentalement l'État de droit dans le monde entier. Mon mandat s'est engagé à respecter le principe selon lequel les lois antiterroristes doivent être conformes au droit international et aux principes de l'État de droit, des garanties procédurales et des procédures régulières. Ce n'est que dans la mise en œuvre de ces garanties procédurales que nous voyons la réalisation effective de ces interdictions pour les individus.

Mon mandat est fréquemment contacté par des personnes dont les droits et principes fondamentaux ont été attaqués ou bafoués et qui ont fait l'expérience directe de la torture et des mauvais traitements. La plupart de ces personnes ont subi ces préjudices sous le couvert de la rhétorique de la lutte contre le terrorisme, ou justifiés par celle-ci. L'une des choses au sujet desquelles mon mandat n'a cessé d'exprimer sa profonde inquiétude est la pratique consistant à détenir les personnes soupçonnées de terrorisme en isolement cellulaire ou sous d'autres formes d'isolement. La justification est de "briser leur résistance" à l'interrogatoire - mais là encore, nous avons vu des pratiques d'États qui sont incompatibles avec le droit international et avec les obligations procédurales de protection des individus.

Nous avons également assisté, au cours des deux dernières décennies, à l'adoption de lois, en particulier de lois antiterroristes, qui prévoient de longues périodes de détention arbitraire, ainsi que des garanties réduites pour les personnes soupçonnées ou accusées de ces délits, et même pour les personnes qui sont témoins ou victimes du terrorisme.

Les Principes Méndez fournissent un ensemble de mesures qui, si elles sont mises en œuvre, peuvent garantir les droits des personnes faisant l'objet d'une enquête ou en détention. Les Principes garantissent que les personnes ne subissent pas le double préjudice d'être elles-mêmes des victimes potentielles, puis d'être à nouveau victimisées du fait de la torture et des mauvais traitements infligés par les agents de l'État. Les Principes Méndez offrent une approche de l'enquête conforme aux droits de l'homme et le mandat que je détiens convient que les États doivent absolument promouvoir un entretien efficace, éthique et non coercitif, axé sur la présomption d'innocence et la recherche de la vérité dans le cadre des enquêtes sur les crimes graves, y compris le terrorisme.

Mon mandat a été particulièrement préoccupé par l'utilisation par les États de ce que l'on appelle les " preuves du champ de bataille ". Nous constatons l'intégration de cette terminologie dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, les stratégies mondiales de lutte contre le terrorisme et dans le langage et les pratiques des États. Mon mandat est profondément préoccupé par le fait que les “preuves du champ de bataille” peuvent servir de couverture pour l'inclusion ou l'insertion de preuves obtenues par la torture ou d'autres méthodes illégales dans les procès. Je suis particulièrement ravie que les Principes Méndez s'appliquent de manière extraterritoriale et pendant les conflits armés, car cela est absolument vital pour garantir que la protection des droits de l'homme reste au premier plan lorsque les États avancent des arguments concernant l'applicabilité des réglementations antiterroristes, souvent en contradiction avec leurs obligations de droit international.

J'exhorte également les États à reconnaître, en particulier, la vulnérabilité des personnes faisant l'objet d'une enquête, qu'elles soient auteurs, victimes ou témoins. Là encore, l'une des forces des Principes Méndez est la reconnaissance qu'ils accordent aux personnes en situation de vulnérabilité.

En ma qualité de Rapporteuse spéciale, j'exhorte et recommande aux États d'approuver et de mettre en œuvre les Principes Méndez. Agir ainsi présente deux avantages importants pour les États. Nous devons comprendre, et je pense que de nombreux États le font, que les techniques d'enquête coercitives non seulement violent les droits et libertés d'une personne, mais qu'elles sont souvent totalement inefficaces et ne produisent pas le type de résultats qui garantissent une responsabilité et une transparence effectives pour les crimes graves.

Comme le préconisent les Principes Méndez, en abandonnant les techniques d'accusation, de manipulation et d'aveu au profit de techniques d'enquête fondées sur des modèles d'entretien à la fois scientifiques et progressistes, les États seront non seulement les garants de l'application des droits de l'homme, conformément à leurs obligations en matière de droit international, mais ils s'engageront également dans des pratiques efficaces qui répondent directement aux besoins de sûreté et de sécurité de leurs populations dans leur ensemble.

Fionnuala Ní Aoláin est la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme.

Blog Wednesday, October 12, 2022